Un argumentaire contre la réforme et pour son retrait

Le collectif des enseignants du Lycée Lapérouse

Avant tout, nous sommes comme vous, attachés à la réussite professionnelle et personnelle de l’élève, nous sommes aussi des parents, et nous avons conscience plus que quiconque du rôle déterminant  de l’école dans cette réussite. Ainsi, ce n’est pas parce que nous sommes contre cette réforme que nous ne sommes pas conscients que le système éducatif n’est pas un objet figé et inerte qui ne doit pas évoluer. Les savoirs, les pédagogies, les outils de transmission, la société évoluent. Nous n’ignorons pas qu’aux principes de continuité et d’égalité du service public, il faut adjoindre aussi l’adaptabilité. Nous ne sommes donc pas par conséquent contre la réforme mais contre cette réforme qui est plus un moyen d’adapter les structures du lycée aux suppressions de postes qu’un levier pour améliorer la réussite de l’élève.

Nous souhaitons aussi vous exprimer notre fatigue à dépenser temps et énergie chaque année pour demander la fin des suppressions de poste, le retrait d’une réforme, Darcos hier, Chatel aujourd’hui et revalorisation salariale pour maintenir notre pouvoir d’achat. Nous regrettons à chaque fois les conséquences de nos mobilisations sur la scolarité de nos élèves. Aujourd’hui encore ils n’ont pas cours.

6 points de mécontentements de la réforme

1-   Réduire le temps de travail de l’élève lui permettra de mieux réussir. Cette hypothèse posée souvent en postulat peut être contestée

Vous savez bien que les meilleures élèves sont ceux qui ont le temps scolaire le plus long en choisissant notamment plusieurs options facultatives et la filière S est la plus gourmande en temps scolaire. Comment expliquer aussi que de plus en plus d’élèves suivent des cours particuliers auprès d’entreprises privées ?

Comment relier cette volonté de réduire le temps scolaire avec le principe de solliciter les élèves à venir étudier pendant les vacances ?

La réussite de l’élève ne doit pas seulement être analysée en termes de temps scolaire.  Une réforme fixant des classes à 20 élèves peut aussi permettre de mieux faire réussir l’élève, seulement elle implique des créations de postes tandis que la réduction du temps scolaire cadre mieux avec des suppressions.

L’autre argument pour justifier cette réduction est que les autres pays ont des temps scolaires moins élevés et qu’il faut donc s’aligner sur eux. Il y a peu on vantait le modèle économique anglais ou espagnol et aujourd’hui, en pleine crise, on reconnait les vertus du modèle social français. L’école en France renvoie à son histoire et à ses valeurs propres.

2-   Développer l’accompagnement personnalisé permettra de mieux faire réussir l’élève

Vous allez me dire que la réforme ce n’est pas seulement réduire le temps scolaire de l’élève (travailler moins) mais mieux … avec l’accompagnement personnalisé, la grande innovation.

-          D’abord nous ne voyons pas vraiment en quoi ce dispositif permettra de mieux faire réussir l’élève dans la mesure où ce principe est déjà pris en compte dans le fonctionnement actuel du lycée avec l’aide individualisée, les modules et les dédoublements. La réforme n’apporte donc rien de nouveau sur ce point. Les 10h30 qui s’ajoutent aux 2h d’accompagnement personnalisé vont dans la réalité reproduire la situation actuelle : des heures à effectifs réduits pour le français, les maths, les sciences, les langues et nous espérons aussi pour les SES. Alors si cela ne change rien pourquoi y sommes nous opposés ?

-          Nous y sommes opposés pour plusieurs raisons : nous redoutons que les contraintes et les choix budgétaires conduisent à l’avenir à utiliser ce volume fixé par simple arrêté sans loi cadre comme moyen d’ajustement des postes.

-          Les modalités horaires de l’accompagnement personnalisé sont de plus contestables à plusieurs titres : 2h par élève par division, mais comme les divisions sont à 35, alors il faut abonder ce volume horaire par une enveloppe horaire de 10h30 laissée à la disposition des établissements, or cette enveloppe horaire à répartir n’est plus décidée nationalement et par discipline mais laissée à la responsabilité du conseil pédagogique. Ce gâteau à répartir doit permettre de concilier des intérêts divergents mais chacun légitimes : l’intérêt de l’élève, l’intérêt du professeur, l’intérêt de l’établissement. Il est clair que pédagogiquement chacun veut s’approprier une partie de cette dotation horaire pour travailler dans de meilleures conditions et autrement. Le français est essentiel, les mathématiques aussi, etc … Chaque professeur dans son champ considère que sa discipline est porteuse de savoirs et de méthodes indispensables à la réussite et à l’épanouissement de l’élève. Quand s’ajoutent des considérations, que d’aucuns peuvent considérer comme mesquines, qui sont la perte d’un poste ou un service dégradé, vous comprendrez que ce dispositif, en plus de mettre en concurrence les professeurs et les disciplines entre elles, est culpabilisant et manipulateur : « et alors tu perds ton poste mais c’est dans l’intérêt d’un projet transdisciplinaire pour l’élève, tu travailles à 35 mais c’est pour mon bien ». Ce n’est pas acceptable, compte tenu des enjeux, de renvoyer cette responsabilité à une structure locale non démocratique. Si de plus vous ajoutez que chaque corps d’inspection conseille habilement de demander des heures d’accompagnement personnalisé et des dédoublements pour sa discipline, on laisse aux professeurs sur le terrain le soin se mettre d’accord entre eux alors même que les inspecteurs ne le font pas.

-          Par ailleurs, nous devrons acquérir des compétences pour remplir au mieux cet accompagnement personnalisé qui relève d’autres métiers : assistante sociale, psychologue, conseiller d’orientation, conseiller principal d’éducation … Notre polyvalence devient une nécessité dès lors que des métiers et des postes sont supprimés.

-          Pour finir, cette modalité de répartition qui symbolise l’autonomie laissée aux établissements fragilise le principe d’une éducation nationale : un élève, selon l’établissement où il est, n’étudiera pas dans les mêmes conditions.

3-   En se focalisant sur la réforme de la seconde, on oublie les conséquences néfastes de la réforme du cycle terminal. Cette partie de la réforme est peu abordée, or avec le tronc commun, il y a fort à parier que les effectifs seront concentrés pour permettre des économies d’heures postes préparant ainsi de nouvelles suppressions de postes les années suivantes.

Au lycée Lapérouse avec les effectifs actuels en première, il y a 2 classes de L à 19 élèves et à 22 élèves et 2 classes de ES à 22 élèves et 23 élèves, avec la réforme il y aura 3 classes de 29 élèves, soit une économie de 15h, soit une réduction des horaires pour les collègues de Français, HG, ECJS, LV1, LV2, TPE, EPS et idem pour les terminales.

 

4-   Notre statut est de plus en plus remis en cause, nous ne devons plus être seulement des professeurs dans une discipline mais des professeurs volontaires et compétents dans de plus en plus de domaines disciplinaires et autres. De plus en plus on nous demande d’être volontaire : tutorat, référent culturel, stages de remises à niveaux, stages passerelles, B2I, membre du conseil pédagogique, coordonnateur de discipline, conseiller pédagogique de stagiaire … Qu’est-ce qu’un métier qui repose de plus en plus sur le volontariat et la bonne volonté pour faire fonctionner un établissement scolaire ? La liberté, disait Bergson, ce n’est pas de faire ce que l’on veut mais de vouloir ce que l’on fait. Dans quelques années, nous serons obligés, compte tenu de la stagnation de notre pouvoir d’achat, d’être tous des volontaires. Le ferons-nous par liberté de choix ou par contrainte financière ? Imaginez par ailleurs un établissement avec des volontaires et des non volontaires, les volontaires seront-ils des meilleurs professeurs que les non volontaires, seront-ils mieux notés ? Auront-ils de meilleures conditions de travail ? Comment les élèves, les parents considèreront-ils les non volontaires ? Il y a un processus de stigmatisation et d’étiquetage derrière cette évolution qui fragilise l’unité d’une équipe pédagogique et qui remet en cause notre statut.

5-   Nous sommes face à une réforme sans programmes définitifs, les programmes de seconde sont en consultation, ceux de première et de terminale même pas abordés,  alors même que nous rencontrons élèves et parents de troisième pour leur présenter la seconde et leur donner une visibilité sur trois ans du cursus scolaire lors des journées portes ouvertes.  Est-ce bien sérieux ?

6-   Pour finir le nouveau dispositif de formation des stagiaires risque de déstabiliser les établissements, les cohortes de stagiaires arrivant dans les établissements avec des volontaires pour les encadrer puis repartant en formation posant alors le problème de leur remplacement, encore des volontaires ou alors la recherche de remplaçants, compromettant  la continuité et la qualité du service public d’éducation que nous devons aux élèves et aux familles.

Voilà, pourquoi nous pensons que cette réforme est plus un moyen d’adapter les structures du lycée aux suppressions de postes, aujourd’hui avec la réforme de la seconde, et demain avec le tronc commun, qu’un levier pour améliorer la réussite de l’élève.

 Voilà, pourquoi, nous nous mobilisons contre cette réforme et que nous demandons son retrait.

 

Le collectif des enseignants du Lycée Lapérouse

 

 


 

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